Entretien avec Jürgen Ritte sur l'avenir de la traduction

Enseignant de littérature allemande et d’études culturelles à La Sorbonne Nouvelle, Jürgen Ritte a récemment traduit le Prix Goncourt 2020, L’Anomalie d’Hervé Le Tellier. Nous avons eu l’occasion de le rencontrer le 28 Octobre 2021 pour discuter de cette traduction à succès de part et d'autre du Rhin. 

 

Originaire de Cologne, Jürgen Ritte, ayant une forte attirance pour le français, décide de poursuivre ses études à Clermont-Ferrand puis d'occuper un poste d’assistant de langue allemande au lycée Louis le Grand. Il réalise sa thèse à Paris tout en travaillant en tant que journaliste littéraire à la Deutschlandfunk. Après plusieurs postes d’assistant en Bavière et à l’ENS, il est employé par l’intermédiaire du DAAD en tant qu’éditeur à la Maison des Sciences de l’homme de Paris 1. Il y rencontre Hansgerd Schulte, président du DAAD, qui le pousse à devenir enseignant à l’Institut d’Allemand d’Asnières.  

 

Il continue en parallèle ses activités de journaliste et de traduction, notamment des auteurs de l'OULIPO. Dans ce cadre, il a participé à la traduction du Prix Goncourt 2020, L'Anomalie d'Hervé Le Tellier. L’Anomalie met en scène une spéculation scientifique dans laquelle nous serions tous les sujets d’une gigantesque simulation. Cette traduction s’est révélée être une très « belle expérience collective » pour Jürgen Ritte car elle fut l’objet d’une réunion de 9 traducteurs rassemblés autour de Hervé Le Tellier. Ce fut l’occasion de partager les difficultés de traduction dans chaque langue.  

 

Nous avons aussi eu l’occasion, lors de cet entretien, d’évoquer l’avenir de la traduction. Les traducteurs automatiques, tels que DeepL peuvent en effet représenter une menace pour les traducteurs professionnels. Selon Jürgen Ritte, seuls les textes à caractère purement descriptif « seront à l’avenir très bien traduits par ce genre d’outils », bien que des difficultés demeurent. Cependant, ce n’est pas le cas des productions poétiques. De son point de vue, « tout cela demande un vocabulaire très spécifique et très souvent chaque entreprise fait son propre vocabulaire ». Il explique que la traduction stricte d’un mot d’une langue à une autre ne peut pas être purement similaire. C’est pourquoi d'ailleurs il estime que  l’utilisation d’un dictionnaire bilingue est inutile, que seul un dictionnaire unilingue peut permettre « d’explorer toutes les possibilités sémantiques » d’un mot. 

 

« Le propre de la littérature est que chaque écrivain crée un peu sa propre langue » 

 

Jürgen Ritte explique que les mots dans un texte n’ont pas toujours la même signification qu’en dehors du texte. Il nous donne comme exemple l’immense entreprise du traducteur Elmar Tophoven. Ce dernier a créé un dictionnaire Sarraute-allemand et un dictionnaire Beckett-allemand. C’est-à-dire que chaque mot spécifique au « style Nathalie Sarraute » ou au « style Samuel Beckett » est fiché pour que chaque occurrence soit mise en correspondance avec une traduction particulière. 

 

Jürgen Ritte déclare que la véritable menace pour les traducteurs professionnels ne provient donc pas des traducteurs automatiques mais plutôt de la rémunération. En effet, certaines bibliothèques en Allemagne ont décidé de mettre des livres en libre accès sur ebook diminuant la rémunération des auteurs et des traducteurs. 

 

LRM & LVB