À la recherche de l’inconfort

Il y a quelques années je rêvais de voyager, de me réveiller chaque jour dans un nouvel endroit et me voici au cœur de Paris. Ce n’est pas le contact de ma peau contre la toile humide qui m’a réveillé, ni même un mal de dos à force de dormir à même le sol. Je suis au chaud dans mon lit. Étrangement ce sont ces petites sensations, loin de l’agréable, qui me manquent : les pieds froids et les chaussettes humides, les cheveux, pas totalement propres mais totalement emmêlés, les lèvres légèrement gercées, le bout des doigts gelés. Le confort, ce pour quoi j’ai voulu cette vie, m’ennuie. Le weekend dernier j’ai acheté une table de chevet « en bois sculpté » à 140€ : c’est un morceau de tronc coupé et poncé. La semaine d’avant c’était un cadre photo, et avant une lampe. J’achète, je me lasse, je vends et j’achète à nouveau.

Le bourdonnement d’un insecte vient perturber mes pensées. Je sors de mon lit et ouvre la fenêtre pour le laisser s’échapper. Il est 7h. Je n’ai pas encore regardé l’horloge mais le grand-père au petit chien entre dans le parc, le cycliste à la casquette est arrêté au feu et cette douce odeur de levure m’indique que la boulangerie va bientôt ouvrir ses portes. Des frissons remontent le long de mon corps jusque sous mon menton. Je m’étire longuement pour les faire partir. Il est l’heure de se préparer et pourtant, je reste là, debout devant la fenêtre, à regarder la vie. Ils se ressemblent tous dans leurs costards, elles se ressemblent toutes dans leurs tailleurs. Loin de moi l’idée de critiquer, je suis comme eux et c’est bien là le problème. Dans quelques minutes c’est moi qui rejoindrai la bouche de métro, dans mon tailleur, sac en main, et qui sait, peut-être serais-je moi aussi observée… Je le suis peut-être déjà…

Je m’avance, attrape la rambarde et penche mon buste par-dessus. Une légère brise vient dresser mes poils. Je regarde, plus attentivement que jamais, chaque fenêtre de l’immeuble d’en face. Je me mets sur la pointe des pieds et me penche un peu plus. Au troisième étage, la fenêtre juste en face de la mienne s’ouvre. Un homme au téléphone me regarde. Je me penche encore et laisse volontairement mon corps basculer d’avant en arrière. L’homme semble porter toute son attention sur mes faits et gestes. Il se rapproche et ne me lâche plus du regard. Je continue de me basculer, toujours un peu plus en avant. Je laisse ce mouvement de vas et viens me bercer et me plonger dans un état de rêve éveillé. Je sens alors mes mains humides glisser, mon buste passe par-dessus la balustrade et le reste de mon corps est, à son tour, emporté. Cette chute soudaine me ramène à la réalité. Instinctivement mes mains se resserrent autour de la rambarde. Je suis toute chose, effrayée mais aussi émoussée par cette horrible sensation. Un léger sourire se dessine sur mon visage. Je me sens, plus que jamais, vivante. L’homme de l’immeuble d’en face est toujours là à me regarder. D’autres fenêtres s’ouvrent, de nouveaux visages apparaissent. Certains sont en pyjamas, d’autres à moitié habillés, tous m’observent. Je leur souris.

 

ECR