Commentaire des résultats du sondage

Le philosophe et sociologue Bruno Latour, en s’interrogeant sur le premier grand confinement, a constaté que l’interruption brutale de nombreuses activités était une réalité possible.  De fait, pour lui, un changement radical dans nos vies peut s’opérer, notamment afin de préserver l’environnement. Inspirés par ce constat et suite aux débats suscités en cours de Projet de publication, nous avons proposé un sondage au Département d'Études Germaniques. Ce sondage interrogeait sur nos habitudes quant au monde après la crise sanitaire et tentait de déceler les ambitions de chacun.e.s pour un potentiel changement collectif ou individuel. 

Le sondage a été diffusé à tous les membres du Département d’Études Germaniques. Cinquante personnes y ont répondu dont 42 étudiants et 8 enseignants. Le sondage était composé de questions fermées et ouvertes incluant la possibilité d’une réponse libre. Les deux questions finales sont rédactionnelles et inventives.

 

La première question, interrogeant le lien entre la crise du Covid-19 et les nouvelles habitudes, a été plutôt unanime : 92% des personnes interrogées ont changé leurs habitudes avec la situation sanitaire. Les propositions de réponses de la question suivante permettaient de détailler et préciser les habitudes du quotidien qu’ils/elles étaient encore prêt.e.s à changer. Une seule personne a répondu ne rien vouloir changer, ce qui révèle une réelle ambition collective de changements. Des habitudes, jugées plus simples à mettre en place comme le tri et la réduction de déchets et l’achat d’objets de seconde main et réutilisables ont été choisies par en moyenne 75% des personnes interrogées. La réduction de consommation d’énergies (électricité, eau, chauffage) est la réponse la moins cochée (60%), ce qui peut s’expliquer par le fait que les étudiant.e.s représentent une majorité des participant.e.s. De fait, ils sont nombreux.ses à ne pas encore être indépendant.e.s et les questions de consommation d’énergie ne font pas encore partie de leur réalité quotidienne, ils ne sont peut être pas décisionnaires de la consommation dans leur foyer. Le chauffage et l’eau chaude représentent également pour tous.tes un certain confort dont il est plus difficile, notamment en hiver, de se passer. La réponse « Cuisiner maison avec des produits locaux et de saison » a été la réponse la plus choisie (82%). Une personne a d’ailleurs précisé cuisiner moins de viandes et privilégier davantage des régimes alimentaires alternatifs. 

La troisième question proposait des changements plus radicaux et les réponses ont été nettement moins unanimes : la réduction au strict minimum des déchets a été la proposition la plus cochée (60%). Les bons gestes à adopter quant aux déchets semblent donc être devenus une évidence quotidienne pour beaucoup. 40% des personnes interrogées disent être prêtes à réduire leur consommation en tout genre, 30% à complètement arrêter l’achat en ligne et la livraison et seulement 20% se disent être prêtes à choisir uniquement des destinations accessibles en train ou en bus. Cette dernière proposition semble être en effet la plus contraignante puisque d’autres facteurs comme le professionnel, le personnel (famille qui habite à l’étranger) et le plaisir de l’expérience du voyage rentrent en compte. 14% des participant.e.s ont déclaré ne pas se sentir prêt.e.s à opérer ces changements radicaux, soit 14 fois plus qu’à la première question. Il faut cependant nuancer les réponses obtenues puisque certaines personnes avaient déjà de nombreuses habitudes évoquées ci-dessus avant la crise du Covid-19. Ces habitudes n’ont donc pas forcément été cochées puisqu'elles ne constituaient alors pas un changement d’habitudes récentes pour les personnes concernées. 

 

La question suivante était libre et interrogeait sur les obstacles rencontrés par chacun.e empêchant la mise en place de nouvelles habitudes. Trois réponses sont majoritairement revenues : le manque de temps, d’argent et d’envie. Plusieurs réponses expliquaient que des alternatives plus responsables n’étaient pas assez proposées par des entreprises ou du moins pas à la portée de leur statut d’étudiant.e. Une autre réponse très intéressante a été plusieurs fois suggérée : le confort. 

 

À la cinquième question « Selon vous, l’action individuelle est-elle suffisante ? », 90 % des personnes interrogées ont répondu non et seulement 10% oui. Par la suite, 96% des participant.e.s ont précisé que l’État devait être le principal acteur en complément des actions individuelles et 86% pensent que c’est aussi le rôle des entreprises. 

Ainsi, l’action individuelle n’a de sens à long terme que si elle s’accompagne d’une action des personnes dirigeantes et influentes. Les associations et ONG sont aussi des acteurs importants pour 48% des personnes interrogées. Les ONG et associations acquièrent leur légitimité et leur pouvoir d’influence en partie parce qu’elles sont soutenues par la société civile. 

La question suivante interrogeait sur l’engagement potentiel des participant.e.s. Les propositions les moins coûteuses et les moins chronophages comme « signer une pétition » et « participer à des actions collectives ponctuelles » ont été majoritairement choisies à respectivement 64 et 76 %. « Adhérer à une association » a été choisi à 50%, « militer » et « soutenir financièrement une association » tous deux à 24%. Ces actions-là représentent un certain investissement de temps et d’argent, lesquels sont de réels obstacles pour de nombreuses personnes, notamment les étudiant.e.s. 6 personnes, soit 12%, ont déclaré ne pas être prêtes à s’engager dans des actions collectives. Plusieurs réponses libres peuvent être relevées : certain.e.s doivent prioriser leurs actions car « leur champ de bataille est autre », certain.e.s autres sont découragés par l’inaction des États et des entreprises. 

 

Nous nous sommes ensuite questionnés sur ce qui influence les changements d’habitudes et les engagements. Les réseaux sociaux et les médias touchent un très grand nombre d’entre nous puisque 76% des personnes interrogées se disent influencées par eux. Les proches du même âge ont également un impact sur les opinions de plus de la moitié des personnes ayant répondu au questionnaire. Mais les influences sont aussi intergénérationnelles car 19 personnes se disent influencées par l’éducation de leurs parents. Les études et les enseignant.e.s impactent aussi un quart des étudiant.e.s. Il faut cependant rappeler que ce questionnaire a été diffusé à des étudiant.e.s mais aussi à des enseignant.e.s et qu’il est resté exclusivement dans le Département d'Études Germaniques. L’impact des études sur les étudiant.e.s est plus ou moins important selon le domaine étudié. Les scientifiques, les penseurs et les écrivains influencent aussi quelques personnes, même si l’étude de leurs écrits et de leurs prises de parole demande plus de temps. 

 Enfin, nous avons voulu questionner plus largement les personnes interrogées au moyen de questions ouvertes. La première question demandait d’imaginer les changements ou l’absence de changements dus à la crise du Covid-19. Si cette question restait très rationnelle, la suivante demandait de faire appel à son imagination pour décrire un monde rêvé. Les réponses se sont en grande partie portées sur les enjeux environnementaux en imaginant un monde respectueux de la nature et en harmonie avec elle. Mais d’autres aspirations en lien avec cette question sont aussi ressorties comme la volonté d’un monde plus social, plus humain, ainsi que la fin de la recherche du profit pour privilégier des “activités qui ne créent rien”. 

Nous vous laissons découvrir une sélection de réponses ci-dessous.

 

LVB & SML

 

 

Vous pouvez également accéder aux questions du sondage ainsi qu'à l’ensemble des réponses du sondage

 

 

Mondes d’après crise 

 

« Retour immédiat à la vie d’avant crise et avant les confinements, peu de changement par manque d’intérêt des États et des entreprises mais peut-être meilleure prise de conscience des citoyens qui mettent en place des actions quotidiennes et militent ? »

 

« C’est un monde où nous sommes de moins en moins solidaire »

 

« Une prise de conscience globale n’est pas recommandée, elle est vitale. Cependant, comment faire prendre conscience à des milliards de personnes que l’on va tous y passer sinon ne fait rien, quand les leaders de ces mêmes milliards de personnes se déplacent en avion pour faire 150 kilomètres ? Vous avez deux heures (ou plutôt dix ans). »

 

« Un retour plus ou moins identique à l’avant covid-19 »

 

« Précaire »

 

« Si les pays occidentaux se résolvent à aider les pays les plus pauvres, on a une chance de s'en sortir; sinon on risque de continuer à vivre dans un état pandémique infini, indéfini et inégalitaire qui empêche d'entamer réellement une révolution écologique et sociale. En même temps, si la crise est suffisamment longue, on a peut-être une chance que les pays occidentaux comprennent l'interdépendance globale. »

 

« Quelques conséquences de la crise seront maintenues (p.ex. port du masque dans les transports en commun), plus de conscience de nos privilèges (p.ex. voyager plus facilement d'un pays à un autre) »

 

« Plus prudent mais peut-être plus conscient »

 

« Plus vert, plus conscient, plus préparé aux crises à venir »

 

« Les chef.fe.s d'Etat ne vont pas agir à la mesure de l'urgence climatique et sociale. Le fossé entre les riches et les pauvres va continuer de se creuser. La planète ira de plus en plus mal. »

 

« Sensiblement le même, avec quelques avancées sociales et écologiques »

 

« On fera des maisons avec les masques, comme ça existe, on n'aura plus peur du contact humain qui s'est installé. » 

 

Mondes rêvés 

 

« J’imagine une réconciliation avec la nature, les animaux. Un retour à des espaces verts, une cohésion entre les différentes formes de vie, mais tout en mettant en place des techniques et technologies durables pour le progrès dans le but de conserver cette cohésion. » 

 

« Il faudrait arrêter de penser les performances économiques d'une société en fonction de sa croissance économique et privilégier d'autres critères (empreinte carbone, équité intergénérationnelle, égalité des chances hommes/femmes, etc. et donc cesser de créer plus de richesses mais mieux répartir celles que nous avons déjà. » 

 

« Un monde qui laisse de la place au repos du corps et de l'esprit. Un monde qui valorise les activités qui ne "produisent" rien : lire, apprendre, enseigner, méditer. Un monde qui transmet les connaissances de tou.tes, puisque tout a déjà été pensé et dit. » 

 

« Je peine à l'imaginer. Je rêve d'un monde avec quatre saisons chaque année. Un monde où il ne s'agit plus d'expansion mais d'ancrage dans l'ici et le maintenant. » 

 

« Un monde qui ne court pas à sa perte..! » 

 

 

« Alors, je partirai certainement dans une utopie (qui, soyons réaliste, ne se réalisera pas, surtout en voyant l'évolution actuelle): J'imagine alors le monde après crise plus solidaire, moins individualiste; un monde dans lequel tout le monde peut trouver sa place; un monde respectueux (car nous aurons appris de nos erreurs) dans lequel l'humain et notre environnement se trouvent au centre de l'intérêt. On a le droit de rêver, hein?! »